Ce week-end, du côté des professionnels, le cœur était un peu lourd. Il y avait beaucoup d’activités prévues et nous ne voulions pas gâcher le plaisir des résidents, alors on a passé sous silence ce qui pesait dans nos esprits. On a pris sur nous et attendu les réunions du lundi matin pour leur annoncer la triste nouvelle…
Vendredi soir, un peu avant 20h30, le téléphone d’astreinte a sonné. Ma main a tremblé en voyant que c’était le nom de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges qui s’affichait. Un peu plus tôt dans l’après-midi, Fenda et Jennifer étaient allées rendre visite à Catherine P. Si l’avant-veille la situation avait semblé s’améliorer, cette fois, elles revenaient avec des nouvelles plus sombres. Sans que les médecins ne sachent vraiment pourquoi, l’état de Catherine s’était brusquement dégradé… Tous les restes d’espoirs se sont envolés au son de la voix du médecin à l’autre bout du fil. À 20h22, Catherine s’était éteinte sans faire de bruit.
Catherine était résidente de l’Unité 2 du FAM depuis le 12 janvier 2011. Elle faisait partie de ces personnes à qui la vie n’avait pas fait de cadeau dès le commencement. Née de façon prématurée, une asphyxie dans les premiers jours avait causé des dommages irréversibles entraînant son handicap. Les relations avec sa famille ont tout de suite été difficiles. Malgré la naissance d’une sœur, le papa expliquait que la maman était restée très dépressive. Les parents s’étaient séparés et la maman était morte très jeune. Le papa n’a jamais réussi à aimer Catherine. Il a refait sa vie en faisant comme si elle n’existait pas.
Catherine a connu les institutions dès 5 ans. Malgré ses difficultés, elle a réussi a intégré un foyer d’hébergement à l’âge adulte en travaillant en blanchisserie à l’ESAT de Rosebrie jusqu’à ses 53 ans.
Avec l’avancée en âge, Catherine perdait en capacités physiques et ne pouvait plus travailler. Alors, elle est venue s’installer au FAM.
Le FAM était un établissement tout neuf avec une équipe en construction qui n’avait pas encore toute l’expérience et les compétences acquises aujourd’hui.
Je me souviens de mon arrivée au FAM et de l’une de mes premières réunions en février 2011. Les professionnels, peu habitués aux troubles du comportement, pensaient, pour la plupart, que Catherine n’avait pas sa place dans l’établissement. L’AFASER s’est toujours efforcé de construire une place à ceux qui n’en avaient pas. Alors, si Catherine n’avait pas sa place au FAM, si, comme les siens, nous l’avions rejetée, où aurait-elle pu trouver sa place ? Lucienne était alors jeune diplômée. Elle se souvient avec moi de cet épisode et de la prise de conscience de l’équipe. Il nous fallait monter en compétence pour nous adapter. À sa manière, Catherine nous a tiré vers le haut. Elle nous a appris que c’était au foyer d’évoluer pour répondre aux besoins particuliers de chacun et non pas aux résidents de rentrer (ou pas !) dans le moule. Je me souviens de Clotilde, alors aide-soignante, qui après cette réunion, avait remis en question toute sa pratique et accompagnait Catherine avec tellement de bienveillance que cette dernière l’avait affublé du surnom de « Minou ». Certains professionnels se surprennent encore aujourd’hui à parler de « Minou » en évoquant leur ancienne collègue…
Catherine avait son caractère, c’est vrai. Elle ne pouvait pas passer inaperçue. On entendait souvent résonner ses cris dans tout l’établissement. Elle pouvait frapper la table du plat de ses deux mains sans discontinuer… Elle pouvait tenir un véritable siège devant l’infirmerie réclamant inlassablement des pansements. Si on avait cédé à ses attentes, elle aurait pu ressembler à une vraie momie ! C’était sa manière à elle de réclamer notre attention et surtout d’exister envers et contre tout. Aucun pansement ne pouvait refermer la blessure ouverte qu’elle portait en elle mais, en grattant sa peau jusqu’à la faire saigner, elle se sentait vivante et, en nous regardant soigner ses plaies, elle se sentait exister à nos yeux.
Il arrivait parfois, lorsqu’elle n’obtenait pas exactement ce qu’elle voulait, qu’elle distribue quelques coups au malheureux qui avait la mauvaise idée de passer à sa portée. Quand je me fâchais à ce sujet, elle tentait toujours de détourner la conversation, faisant mine de ne pas comprendre. Mais Catherine était bien plus intelligente qu’elle ne voulait le laisser paraître et il suffisait de lui dire qu’on n’était pas dupe pour qu’elle se résigne à s’excuser avec une moue boudeuse.
Plus souvent, lorsqu’elle pouvait attraper un bras qui passait, c’était pour le couvrir de baisers (parfois agrémentés de purée). Parce que, que ce soit dans ses moments de frustration ou dans ses demandes de tendresse, tout pour Catherine passait par le corps et par cet inépuisable besoin de toucher.
Catherine nous touchait au sens propre comme au figuré. C’est sans doute pour cela que, malgré les débuts difficiles, malgré les doutes qui ressurgissaient de temps en temps, elle a réussi à construire sa vie au FAM durant plus de 13 ans.
Chacun de nous a son petit souvenir qu’il évoque avec tendresse. Lucienne sourit en racontant le temps où Catherine, ancienne blanchisseuse d’ESAT, n’aimait pas la manière dont on pliait le linge. Elle dépliait toutes les affaires qui remontaient de la lingerie pour les replier soigneusement à sa manière. Plusieurs se souviennent en riant que Catherine ne criait jamais à l’extérieur. Que ce soit en simple sortie ou toute une semaine en séjour, elle se montrait radieuse et épanouie et attendait sagement qu’on se gare sur le parking du FAM pour pousser à nouveau la chansonnette. Pour la distraire de ses envies de pansements, chacun tentait de la faire participer aux activités. Hayet réussissait à lui faire faire de la pâtisserie, Rodrigue, armé de sa patience légendaire, lui faisait poser les petits carreaux de mosaïque sur un support en bois préencollé… Je revois en pensée Sylvain, en son temps, ignorant les protestations de Catherine, pour la faire décoller de l’infirmerie en poussant son fauteuil jusqu’aux salles d’activités. On se souvient tous comme Catherine était coquette, comme elle aimait porter de nouvelles robes, comme elle était fière dans la jolie robe bleue que Bibiane, maitresse de maison remplaçante, avait confectionné pour elle. En réunion, les résidents évoquent l’amour de Catherine pour les bateaux-mouches…
Au-delà des stigmates de son handicap et de tous ses troubles associés (scoliose, arthrose, perte de mobilité, diabète, etc.), dans les mauvais comme dans les bons moments, dans les cris comme dans les éclats de rire, Catherine était surtout un tourbillon de vie. Elle n’était pratiquement jamais malade.
Quand l’énergie lui a manqué, quand son souffle est devenu court, on a tout de suite su que ce n’était pas normal. À l’hôpital, ils ont mis du temps à comprendre. Ils ne voyaient qu’une psychotique non marchante quand nous, nous leur parlions de Catherine. On ne peut pas vraiment leur en vouloir et ils n’auraient sans doute pas pu la sauver. La vie avait décidé de nous la reprendre comme elle avait décidé de la faire venir au monde, avec beaucoup trop d’avance…
Mais personne ne pourra nous reprendre ces 13 ans de vie partagée, ces années d’amour réclamé à cor ou plutôt à corps et à cris et largement offert en retour. Catherine nous a touchés jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme et elle continuera d’exister à travers le souvenir que le FAM conservera d’elle, comme un cri qui nous rappelle que chaque personne est unique et précieuse, que chaque personne mérite une place.
Quel bel hommage à Catherine 💖
Merci Valérie pour cet hommage poignant !!! D'une manière si éloquente, vous avez traduit et exprimé tellement bien ce que Catherine représentait à nos yeux !
Il est certain que Catherine n'a pas eu la chance d'être entourée de sa famille biologique et d'être aimée à sa juste valeur....mais au FAM, elle a trouvé sa "vrai" famille bienveillante, qui l'a aidée et qui l'a, surtout aimée !! 💕